Le besoin de Frexit n’a jamais été aussi grand – réponse à l’Huma

Le besoin de Frexit n’a jamais été aussi grand – réponse à l’Huma

Le 28 février 2019, l'Humanité publiait une interview de Bruno Odent intitulée "le besoin d'Europe n'a jamais été aussi grand". Guillaume Baudoin, membre des citoyens souverains, lui répond dans cette tribune.

Le quotidien l'Humanité a publié un entretien1 avec le journaliste Bruno Odent, auteur d'un ouvrage publié récemment 2. Plusieurs points inexacts proférés dans cet entretien méritent que l'on s'y attarde.

L'auteur affirme que « L’Europe des traités et des règlements austéritaires à bout de souffle est à l’origine de cette dérive. » L'erreur fondamentale est de croire et de faire croire que c'est « cette » Europe qui serait en cause et non la construction européenne elle-même. Or l'histoire de la construction européenne a été marquée depuis ses origines par son caractère anti-social et anti-démocratique3. Il est pour le moins croustillant que le journal communiste ignore que le plus ardent opposant au plan Schumann fut le PCF… En outre, le problème de l'Union Européenne ne sont pas les traités, mais le principe même d'un marché unique. A partir du moment où l'on accepte l'idée d'une Europe fédérale et/ou supra-nationale, on est forcément dans un régime de libre-échange (des capitaux comme des biens) : on n'imagine pas par exemple que le département du Nord ne puisse pas envoyer ses produits dans les Bouches-du-Rhône. Accepter l'Union Européenne revient donc nécessairement à accepter la concurrence fiscale, sociale et environnementale.

Il poursuit en affirmant qu' « Elle alimente un malaise généralisé, un immense ressentiment populaire, qui crée un terrain de plus en plus favorable aux joueurs de flûte nationalistes. » Si le ressentiment populaire est indéniable, il serait pertinent de se demander pourquoi les nationalistes seuls en bénéficient. Or sauf à sombrer dans une logique mécaniste, la gauche radicale devrait bénéficier de ce terrain. Si tel n'est pas le cas, c'est parce que la concurrence, inhérente au marché commun, génère de la xénophobie en dressant les peuples les uns contre les autres. Le discours xénophobe n'est pas une force qui se déploie dans le vide : la réalité sociale lui sert de tremplin.

L’affirmation selon laquelle « Les nationalistes ont dans leur collimateur ce qu’il reste de solidarité et de véritable coopération » commet un contre-sens. La coopération n'a jamais été la règle dans la construction européenne. En outre, on aimerait bien savoir à quoi l'auteur fait allusion quand on sait que l'article 153 du TFUE4 prohibe toute harmonisation sociale et que la combinaison des articles 106, 206 et 207 prévoient la liquidation des services publics… Bruno Odent reprend ici à son compte la fable européiste.

Le biais pro-UE continue avec l'affirmation selon laquelle le Brexit serait nécessairement « nationaliste » et constituerait un « cauchemar » pour les salariés britanniques, alors même que nombre de militants travaillistes ont proposé un Brexit de gauche, solidaire et coopératif, comme l'explique Chris Bickerton dans le Monde Diplomatique5. En outre, ce « cauchemar » risque surtout d’être celui du patronat puisque la perspective du Brexit a engendré des hausses de salaires…au grand dam du journal le Figaro6.

Bruno Odent prétend ensuite qu'« Une dévaluation, c’est avant tout une amputation de la valeur du travail. » car « les salariés verraient, eux, leur pouvoir d’achat sacrément amputé par l’augmentation mécanique des prix des produits importés ». On ne peut qu'être pantois devant cette profession de foi digne de la droite la plus libérale, telle que celle magazine Capital7. Quatre objections principales peuvent être formulées.

La première est qu'entre le coût d'achat et le prix de revente, il y a les marges des entreprises. Or si une dévaluation (qui au demeurant n'a rien de nécessaire si l'on rétablit un strict contrôle des capitaux) présente un intérêt, c'est de rogner ces marges et les profits qui vont avec : les produits qui verraient leur prix trop augmenter ne serait ainsi plus achetés et les entreprises devraient baisser leurs marges.

La seconde est que la hausse des prix est dans certains cas souhaitable. Importer des grosses berlines allemandes ou faire voyager du bœuf ou du papier sur des milliers de kilomètres est un non-sens économique et écologique. La hausse des prix poussera ainsi à la relocalisation de l'activité avec baisse du chômage et hausse des salaires à la clé.

La troisième est qu'il y a un enjeu de partage des richesses derrière la dévaluation. Ceux qui voyagent à l'étranger, achètent des smartphones produits en Chine ou de grosses berlines allemandes, autrement dit les plus riches, seraient pénalisés. Les autres verraient leur pouvoir d'achat se redresser avec la baisse du chômage et la hausse des salaires liées à la relocalisation et au surcroît de compétitivité (même si la concurrence par les coûts n'est pas sur le moyen et long terme un objectif à poursuivre).

Enfin, faut-il souligner qu'une sortie de l'euro ne se traduirait par une dévaluation que si la libre-circulation des capitaux est tolérée et que si l'on confie la fixation du taux de change au marché, ce qui n'a rien d'une nécessité. Une vraie rupture avec la mondialisation capitaliste supposerait au contraire d'une part de limiter strictement les mouvements de capitaux, via autorisation administrative préalable et lourde taxation (de l'ordre de 50%) à la sortie, et d'autre part de faire fixer le taux de change par une banque centrale sous contrôle démocratique.

Bruno Odent a le droit d'être hostile à la sortie de l'UE. Encore faudrait-il qu'il justifie son opposition au moyen d'un argumentaire qui ne se résume pas à une prose digne du patronat le plus ultra-libéral.

1 https://www.humanite.fr/article-sans-titre-668510

2 Libérons l'Europe : le nationalisme est au bout du modèle, Editions du croquant

3https://www.cvce.eu/obj/brochure_du_parti_communiste_francais_sur_les_dangers_du_plan_schuman_1951-fr-6eca4f40-6267-4fec-b0f5-6145e324f4cf.html

4 Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne

5 https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/BICKERTON/59567

6 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/08/16/20002-20180816ARTFIG00251-brexit-les-entreprises-forcees-d-augmenter-les-salaires-face-a-la-penurie-de-main-d-oeuvre.php

7 https://www.capital.fr/entreprises-marches/la-sortie-de-l-euro-un-pari-economique-perilleux-1221856

Collectif Citoyens Souverains
citoyenssouverains@gmail.com
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