Vaincre la dette et les marchés financiers

Vaincre la dette et les marchés financiers

Alors que la mobilisation sociale contre la réforme des retraites bat son plein, rares sont les analyses qui font le lien entre les politiques libérales d’Emmanuel Macron et les exigences de l’Union européenne. L’âge de la retraite a pourtant reculé dans toute l’Europe, comme expliqué dans cet article, car nous ne sommes plus maîtres de notre politique économique.

Le 3 décembre 2019, nous organisions un atelier de travail sur la question de la souveraineté budgétaire et monétaire, en lien avec la campagne des municipales. Ici la vidéo de cet atelier

Vous retrouverez ci-dessous l’intervention de Ramzi Kebaïli.

Vaincre la dette et les marchés financiers

Dans toute l’Europe, les mêmes réformes des retraites sont imposées quels que soient les gouvernements. Pourtant, trop souvent, les partis d’opposition imputent à Emmanuel Macron l’entière responsabilité de la politique actuelle et refusent d’aborder les contraintes structurelles qui nous obligent à nous aligner sur les marchés financiers. Mais ce ne fut pas toujours le cas. En 2013, François Ruffin et Frédéric Lordon prônaient dans Vive la banqueroute un défaut souverain, c’est-à-dire le non-remboursement total ou partiel de la dette publique. Un an plus tard, des dizaines de partis et d’associations de gauche soutenaient l’Audit Citoyen de la Dette, qui estimait que 59% de son montant était illégitime, et pouvait donc ne pas être remboursé. Malheureusement, cette question capitale semble avoir été progressivement désertée par le champ politique, et n’être plus portée que par des associations comme le CADTM 1, ou le Réseau Salariat 2. Ainsi en 2017, le non-paiement de la dette fut quasiment absent de la campagne présidentielle. Benoit Hamon envisagea un défaut partiel, avant de faire machine arrière toute au bout de dix jours 3, et Jean-Luc Mélenchon se contenta de proposer son rachat par la Banque Centrale Européenne 4. Le contre-budget de la France insoumise assuma même explicitement de poursuivre le remboursement des dettes – et même d’en contracter de nouvelles – auprès des marchés financiers. Citons-le in extenso : « Nous avons ainsi supposé que les marchés financiers auront initialement une forte réaction de défiance vis-à-vis du programme l’Avenir en commun, et que le taux d’intérêt sur les nouvelles émissions de dette française augmentera initialement de 200 points de base. Puis, dans les années suivantes, la confiance des marchés reviendra compte tenu des résultats obtenus » 5.

En 2017 Romaric Godin, journaliste faisant aujourd’hui figure d’autorité au sein de la gauche critique, défendait la position suivante 6  : puisque la dette n’est pas un problème, et puisque les taux d’intérêts sont bas (voire négatifs), il n’y aurait aucune urgence à cesser son remboursement et il faudrait au contraire emprunter davantage. Ce raisonnement est très courant parmi les milieux militants. Or, si l’endettement public n’est pas en soi un problème, il le devient à partir du moment où l’on accepte le cadre contraint d’un financement exclusif auprès des marchés financiers. Le contre-exemple souvent donné du Japon, qui supporte sans problème une dette dépassant 250 % de son PIB, repose justement sur le fait que « la dette est détenue pour l’essentiel par les Japonais, les protégeant d’une attaque des marchés » 7. La situation est très différente dans les pays européens. S’il est très connu que les traités européens fixent des objectifs absurdes d’équilibre budgétaire (déficit annuel à moins de 3 %, et dette à moins de 60 % du PIB), il est en revanche moins su que l’article 123 du Traité de Lisbonne impose à nos États d’emprunter auprès des marchés. Nous nous retrouvons ainsi privés de la possibilité de recourir à la création monétaire et l’auto-financement, ce que l’on appelait autrefois le « Circuit du Trésor » (voir à ce sujet l’excellent ouvrage de Benjamin Lemoine, l’Ordre de la dette 8). Ce sont ces contraintes structurelles qui ont gravé dans le marbre le modèle économique néolibéral du début des années 80. Ce néo-libéralisme n’est donc pas une simple idée politique qui aurait été adoptée, comme par une curieuse coïncidence, par tous les gouvernements depuis 1980, mais un cadre économique par lequel l’État s’est auto-dépouillé de ses instruments monétaires et dépend donc des marchés pour boucler ses fins de mois. Depuis 1980, ce sont ainsi 1400 milliards d’euros d’intérêts (!) qui ont été payés par le contribuable aux marchés financiers. Il est surprenant que des personnalités critiques du néo-libéralisme, comme Romaric Godin, n’aient pas compris que Macron ne casse pas le système de retraites seulement par idéologie, mais aussi et surtout pour améliorer sa capacité d’emprunt, dans le cadre contraint des traités européens et des Grandes Orientations de Politique Economique (GOPEs).

Citons un autre exemple de cette erreur très répandue : lorsque l’économiste atterré Christophe Ramaux 9 suggère à l’État d’emprunter 50 milliards supplémentaires auprès des marchés afin de profiter des taux bas pour renationaliser les autoroutes, il semble ne pas comprendre que les taux ne sont bas que dans la mesure où le gouvernement s’est engagée à ne pas mener ce type de politiques. Le contre-budget de la France insoumise ne peut donc pas fonctionner en l’état, puisqu’il repose sur le postulat d’une légère augmentation des taux d’intérêts alors que ceux-ci exploseraient en cas de victoire électorale – sans parler de la fuite des capitaux qui nécessitera la mise en place immédiate d’un contrôle des changes, et donc d’une confrontation directe avec les traités fondateurs de l’UE qui exigent la libre-circulation des capitaux et des marchandises. Quelle serait alors la situation budgétaire de la France ?

En 2019, le besoin prévisionnel de financement de l’État, non-couvert par les recettes budgétaires, s’élevait à « 227,6 milliards d’euros, principalement sous l’effet d’un déficit budgétaire de 98,7 milliards d’euros et de 130,2 milliards d’euros d’amortissement de dette à moyen et long terme venant à échéance en 2019 » 10. Bien que ce montant brut puisse être relativisé, il signifie que même en cessant de rembourser les intérêts (42 milliards en 2019), et même en supposant qu’on annule une partie importante des 2300 milliards de dette, il resterait encore plusieurs dizaines de milliards à trouver pour boucler le budget annuel. Et ce, préalablement à la hausse nécessaire des dépenses pour affronter la crise écologique et sociale ! On comprend que face à un tel obstacle, nombre de partis politiques aient reculé. Les solutions existent pourtant, à condition de faire preuve d’audace politique. Dans son livre Système contre système 11, l’auteur Clément Caudron propose une réforme fiscale d’envergure ainsi que la monétisation des dettes et des déficits, via la renationalisation de la Banque de France, pour pouvoir financer des dépenses massives en faveur des services publics, de la justice sociale et de l’écologie. Dans l’article du Monde Diplomatique « Face aux marchés, le scénario d’un bras de fer » 12, Renaud Lambert et Sylvain Leder proposent également de mobiliser l’épargne populaire pour remettre la dette publique dans les mains des citoyens, et surtout d’obliger les banques françaises à racheter une partie de ces créances. Toute la difficulté est d’anticiper suffisamment à l’avance la crise systémique que provoquerait un défaut souverain, même partiel – Frédéric Lordon proposant, dans ce même article, que « la France [honore] ses engagements auprès de ses créanciers, à des conditions qu’elle fixera souverainement, et sans contracter de nouvelles dettes auprès des marchés ». Évidemment, tous ces scénarios nécessitent de conquérir notre souveraineté monétaire et budgétaire.

D’autres solutions sont imaginables mais dans tous les cas, l’objectif essentiel doit être celui de l’auto-financement, et le refus de dépendre des institutions capitalistes pour payer nos services publics et nos protections sociales. Il s’agit là d’une priorité absolue : toute proposition écologique et sociale doit être accompagnée d’un plan de réalisation permettant d’anticiper toutes les éventualités, y compris si nous devons quitter l’UE, l’euro et le capitalisme 13 pour pouvoir rester fidèles à nos convictions.

1 https://www.cadtm.org/Faire-defaut-sur-sa-dette-publique

2 https://twitter.com/LeMediaTV/status/1056515925870968833

3 https://www.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170313.OBS6531/revenu-universel-dette-deficit-public-les-trois-revirements-de-benoit-hamon.html

4 https://actu.orange.fr/politique/videos/melenchon-la-dette-doit-etre-integralement-rachetee-par-la-banque-centrale-europeenne-CNT0000019z16s.html

5 https://lafranceinsoumise.fr/2017/11/02/le-contre-budget/

6 https://www.latribune.fr/economie/presidentielle-2017/dette-publique-faut-il-envisager-le-defaut-649730.html

7 https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/03/11/l-endettement-a-250-souci-mineur-du-japon_5093026_3234.html

8 https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-10-ete-2016/debats/article/compte-rendu-de-lecture-de-benjamin-lemoine-l-ordre-de-la-dette

9 https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-30-mars-2019

10 https://www.aft.gouv.fr/fr/publications/communiques-presse/20180924-plf-2019

11 https://www.bookelis.com/politique/29207-Systeme-contre-Systeme.html

12 https://www.monde-diplomatique.fr/2018/10/LAMBERT/59131

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Collectif Citoyens Souverains
citoyenssouverains@gmail.com
1Commentaire
  • Dominique Gagnot
    Mis en ligne le 00:39h, 08 janvier Répondre

    Je plussoie et irait plus loin :

    Le fond du problème n’est pas seulement dans le contrôle citoyen de la monnaie, mais dans la gestion collective des Ressources premières (dont la monnaie !).
    Cela supposerait la propriété lucrative collective de ces Ressources, tandis que leur propriété d’usage seraient généralement privée, et source de Rente collective remplaçant l’impôt.
    COMPRENDRE L’ARNAQUE CAPITALISTE, IMAGINER LE SYSTÈME D’APRÈS._ PDF gratuit : http://bit.ly/capitalisme

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